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Colloque : D'un extrême l'autre. Dynamiques et convergences "Rouges-brunes" XIXe-XXIe siècles

Organisé par l’Observatoire des Extrémismes et des Signes Émergents

En 2014, l’ethnologue Jean-Loup Amselle faisait paraître un essai intitulé Les Nouveaux Rouges-Bruns. Le racisme qui vient (Éditions Lignes) où, par la métaphore des couleurs politiques, il analysait le phénomène de trans­fuges de l’extrême-gauche vers l’extrême-droite au nom d’un creuset idéologique commun « primitiviste » dans lequel on retrouvait des concepts tels que l’autochtonie, le peuple, la communauté, la nation, la culture populaire… La première occurrence de l’adjectif substantivé « Rouges-Bruns » est toutefois plus ancienne et remonte à l’année 1993 à la suite d’un article provocateur publié dans L’Idiot international (Jean-Edern Hallier) et écrit par Jean-Paul Cruse, ancien de la Gauche prolétarienne, intitulé « Vers un Front national ». La « tentation national-communiste » (Olivier Biffaud, Edwy Plenel, Le Monde, 26 juin 1993) serait née peu après la chute de l’Union soviétique et le déclenchement des conflits en ex-Yougoslavie. Le contexte de l’approbation du traité de Maastricht est également à rappeler. Anciens staliniens, nostal­giques de l’Empire soviétique et idéologues d’extrême-droite (Alain de Benoist) se trouvaient pour dénoncer la mondialisation, l’impérialisme étatsunien, le sionisme, le « racisme antiraciste » et célébrer la Nation et l’union eurasienne.

Renaitraient ainsi les « nationaux-bolcheviks » dont l’appellation remonte à la trajectoire singulière d’Ernst Niekisch (1889-1967) passé du SPD à la défense sans concession de l’État et de la Nation dont le prolétariat aurait été le fer de lance. Dès 1919 en Allemagne, apparaissent des nébuleuses politiques mêlant revendications sociales et raciales. Un courant « national-bolchevik » (Hambourg) entre dans le KAPD qui l’exclut rapidement (1920). L’Italie fasciste offre d’autres exemples célèbres qui ne se limitent bien sûr pas à Mussolini. Les années trente voient se multiplier les passages d’extrême-gauche à l’extrême-droite étudiés pour certains tant individuellement (Doriot…) que plus collectivement (Gilbert Merlio (dir), Ni Droite ni Gauche. Les chassés-croisés idéologiques des intellectuels français et allemands dans l’Entre-deux-guerres », MSH d’Aquitaine, 1995). Et des années Cinquante à nos jours, d’autres figures de l’extrême-gauche ont rejoint l’autre extrême.

Le phénomène s’inscrit donc dans la durée et interroge historiennes, historiens et politistes, entre autres.

Le passage de l’extrême-gauche à l’extrême-droite n’est pas propre au XXe siècle et la France post-révolutionnaire offre des cas similaires (Henri Rochefort de la Commune de Paris au Boulangisme, pour ne prendre que cet exemple) sur lesquels il sera important de revenir. Si des trajectoires de l’extrême-gauche à l’extrême-droite sont nombreuses, le parcours inverse est avéré, dans l’Europe des années 70 qui constituent un cas d’étude particulièrement riche. S’agit-il de passages individuels ou de transfuges collectifs ? Comment sont-ils justifiés par ces acteurs ? Sont-ce des conversions, des rapprochements tactiques ou peut-on parler de convergences ? Quelle est la part du contexte politique, économique et social, de l’opportunisme ou de l’idéologie dans ces éventuelles convergences ? Dans les rapprochements idéologiques, quelle est la place de l’anti-américanisme, de l’antisionisme et de l’antisémitisme, du nationalisme raciste, voire du néo-paganisme, de l’anti-industrialisme ? Quels effets ont le transfert d’un camp à l’autre de personnalités politiques et d’intellectuels chez les électeurs, dans certaines catégories sociales et plus généralement dans la société ? Le passage d’un extrême à l’autre pose la question de la radicalisation mais ne doit pas faire oublier un processus possible de dé-radicalisation.

Autant de questions et de problèmes qui appellent des recherches sur toute l’époque contemporaine et le temps présent, en Europe, aux États-Unis mais aussi dans d’autres parties du monde concernées par le phénomène.