Fonds Christophe Bourseiller

L’Université Polytechnique Hauts-de-France (UPHF) a reçu en 2019 un don exceptionnel de la part de Christophe Bourseiller, composé de près de 29 000 documents qui ont marqué l’Histoire depuis 1945. Le Service commun de la documentation de l’université a pour mission de conserver, valoriser ce don et de le mettre à disposition de tout public, du chercheur à l’étudiant en passant par l’amateur éclairé. Le Conseil d’administration de l’Université, siégeant le 4 juillet 2019, a approuvé la convention de don.

Lien vers la collection numérique Signes Émergents : https://bibnum.uphf.fr/s/signes-emergents/page/accueil

Qui est Christophe Bourseiller ?

Historien, écrivain et journaliste, Christophe Bourseiller, qui fut autrefois acteur au cinéma, n’a eu de cesse de rassembler des documents d’archives, journaux, revues et de livres se rapportant à des mouvements qu’il qualifie de « hors normes », aussi bien en termes de politique qu’en termes de culture et de faits religieux. Son activité couvre plusieurs domaines, de la recherche historique au journalisme. On lui doit plusieurs ouvrages, dont Les Faux Messies et C’est un complot ! Christophe Bourseiller est également docteur en Histoire depuis 2019, suite à la soutenance de sa thèse intitulée Ombre invaincue : de la destruction du « collaborationnisme » à sa survie dans la France de l’après-guerre (http://www.theses.fr/2019PA01H061).

Que renferme sa collection ?

Le don de Christophe Bourseiller est majoritairement constitué de documents imprimés et de quelques enregistrements sonores et vidéos dont la plus grande partie porte sur l'ensemble des courants extrémistes et signes émergents depuis 1945, de gauche, de droite, ou inclassables, sur une base internationale, mais essentiellement en langue française (environ 70 % de la totalité du don) et anglaise. Le donateur a collecté ces différents supports au gré de ses achats chez des bouquinistes ou libraires d’occasion, mais aussi à l’occasion d’événements ou de rencontres avec les figures emblématiques de ces réseaux et organisations. 

Parmi les thématiques les plus importantes figurent : 

  • les extrémismes politiques 
  • les francs-maçonneries
  • les spiritualités et religions minoritaires
  • les États communistes
  • les anarchistes et l’ultra-gauche 
  • la politique internationale

L’origine du fonds. Entretien avec Christophe Bourseiller

Entretien réalisé par Sébastien Repaire, chercheur postdoctoral à l’UPHF (laboratoire LARSH), le 19 octobre 2020.

Pourrait-on établir quelques grandes catégories en fonction de la provenance de vos archives ?

Il y a d’abord les documents achetés en librairies. J’ai démarré en 1969-1970. 

D’autres documents ont été glanés dans les manifestations et les meetings. J’ai fait toutes les grandes manifestations de 1973 à 1990. Puis je me suis lassé d’y aller. Mais quand j’étais prof à Sciences Po j’y envoyais mes élèves qui me rapportaient les tracts, puisque nous les étudiions en classe. Voilà comment j’ai procédé dans mon travail de glane, que j’ai poursuivi, puisque je continue malgré moi à ramasser des tracts quand j’en voie, à décoller des autocollants, ou à m’intéresser à des sigles nouveaux que je vois apparaître. Le hasard joue également parfois un rôle. Une nuit, je suis tombé devant le siège de la Scientologie, les poubelles n’avaient pas été faites, et j’ai fait les poubelles de la Scientologie à Paris ; j’ai donc récupéré de nombreux documents internes qui avaient été jetés.

Après ça, il y a les rencontres. Ayant moi-même milité très jeune dans deux organisations, l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) et la Gauche marxiste, deux groupuscules de l’après-Mai 68, j’ai évidemment beaucoup de documents de ces organisations-là, dont des textes internes. À partir de là, j’ai fait la connaissance de nombreux militants de différents groupes, qui soit me passaient des documents, soit m’ont donné leurs archives, en voyant que je devenais un archiviste et que ce serait plus utile ainsi. J’ai récupéré par exemple les archives d’un militant belge, qui était membre des Jeunes gardes socialistes belges et ensuite du Parti ouvrier socialiste, qui deviendra la Ligue communiste belge. J’ai donc récupéré énormément d’archives internes belges, en flamand et en français. Il y a aussi un militant d’extrême droite issu du mouvement Troisième Voie qui en a eu assez de la politique et qui m’a apporté ses archives, donc j’ai récupéré beaucoup de documents internes du mouvement d’extrême droite Troisième Voie. Lorsque j’ai travaillé avec Robert Barcia, le chef de Lutte ouvrière, il m’a également donné accès à des archives que j’ai pu photocopiées. 

J’ai aussi fait beaucoup de voyages dans ma vie, et il y a donc beaucoup d’archives qui viennent de pays étrangers. Là il y a aussi bien les rencontres avec des militants que d’autres choses.

Beaucoup de documents portent sur les États-Unis, d’où proviennent-ils ?

Beaucoup ont été achetés ou acquis aux États-Unis, où j’allais avec mes parents quand j’étais enfant, et où j’allais ensuite régulièrement par moi-même. Je m’intéressais beaucoup aux États car au niveau des signes émergents, les États-Unis sont souvent les incubateurs des idées nouvelles. C’est un fait encore aujourd’hui, quand on voit tous ces termes nouveaux, comme la charge mentale, l’intersectionnalité, etc. Tout vient d’Amérique. 

De même, les documents sur les mouvements religieux et sectaires américains ont été acquis lors de voyages. D’ailleurs aux États-Unis, il est beaucoup plus facile d’avoir accès aux documents sectaires qu’en France : même pour une communauté fermée, surveillée par des gardes armés, il y a toujours une guérite où on va vous expliquer ce qu’est le mouvement, il y aura des tracts, des brochures, des choses qu’on peut acheter éventuellement. Alors qu’en France, quand vous allez dans une ZAD par exemple, on vous regarde bizarrement, et il n’y a pas cela, la guérite à l’entrée qui explique « pourquoi nous sommes là, qu’est-ce que nous voulons ». À l’inverse, si vous allez à Aryan Nations, par exemple, le pire mouvement néonazi américain dans l’Idaho, vous avez la guérite, où vous pouvez acheter Mein Kampf en anglais et des brochures expliquant ce qu’est le nazisme ! Cela peut paraître surréaliste, mais aux États-Unis cela fonctionne ainsi. 

D’autres documents américains ont pu être achetés en France. La première fois de ma vie que je suis allé, dans les années 1970, à la Librairie française, qui était rue de l’Abbé Grégoire, et qui était la librairie fasciste de Paris, je me souviens que le libraire passait Dixie, la musique sudiste. Il y avait donc cet air là pendant que je glanais des tracts, des documents, des journaux inavouables. L’extrême droite française a toujours eu cette fascination pour les sudistes, pour le Ku Klux Klan. D’ailleurs j’ai beaucoup de documents du Ku Klux Klan pour les années 1990.

Et s’agissant de l’Amérique latine ? 

Les documents clandestins du MIR péruvien viennent d’opposants péruviens rencontrés à Paris en 1968-1969. Même chose pour d’autres documents venant de Latino-Américains en exil à Paris à la même époque. J’étais encore enfant mais que je m’intéressais déjà à ces sujets. Paris était alors comme un sanctuaire pour tous ces militants et ces guérilleros.

Outre le don évoqué plus haut, qu’en est-il des nombreux documents venant de Belgique ?

Les journaux belges des années 1950 et 1960 ont été achetés à Bruxelles. Et puis, quand j’étais très jeune, je dépensais mon argent de poche chaque semaine dans les nombreuses librairies extrémistes et j’allais beaucoup chez Maspero. Or, chez Maspero il y avait toujours le journal belge La Gauche, et comme j’achetais tout, j’achetais aussi La Gauche. Puis j’ai fait la connaissance d’Ernest Mandel, chef de la Quatrième Internationale et créateur de La Gauche, qui m’a donné d’autres documents. Je l’ai rencontré ici même, au Zimmer, puis on s’est revu et on a dîné ensemble. Avec la Belgique, il y a toujours eu des liens. Quant à la revue belge d’extrême droite Europe Magazine, je crois que je l’ai trouvée dans une brocante ; c’est le hasard de la chine, en quelque sorte…

Quelles sont les principales librairies que vous visitiez régulièrement ?

Je suis allé dans tellement de librairies ! De 1969 à 1980, il y a eu la librairie La Joie de lire, c’est-à-dire Maspero, la librairie Gît-le-Cœur, la librairie La Commune, la librairie Actualités, la librairie La Vieille Taupe – la première était excellente –, la librairie Publico, qui était la librairie de la Fédération anarchiste tenue par Hellyette Bess, future membre d’Action directe qui m’aimait beaucoup (rires). Après Publico, Hellyette Bess a ouvert une librairie anarchiste qui s’appelait le Jargon libre, rue de la Reine-Blanche, dans le 13e. Elle vendait ou donnait des documents internes pour l’édification des militants de plein de groupes. J’y achetais aussi le bulletin de la Fédération anarchiste.

Il y avait aussi la Brèche – librairie de la Ligue communiste –, et la librairie de l’Organisation communiste internationaliste de Pierre Lambert, qui était rue du Faubourg Saint-Denis. Ces deux librairies étaient à l’intérieur des sièges de ces mouvement, il fallait donc entrer en montrant patte blanche et ensuite on vous conduisait jusqu’à la librairie.

Et puis à l’extrême droite il y a eu deux librairies très clandestines, la Librairie française, rue de l’Abbé Grégoire, ainsi que la librairie Grégori, qui était rue du Bac et qui était un marchand de journaux avec dans un coin une liste incroyable de bulletins d’extrême droite, avec des trucs ronéotés… On y allait en faisant comme si on achetait Le Monde !

À partir des années 1980, beaucoup de librairies ont fermé. Dans les années 1980, il y avait surtout une librairie d’extrême droite qui s’est ouverte et qui avait beaucoup d’influence : la librairie Ognios, 10 rue des Pyramides, à l’emplacement du siège du PPF de Jacques Doriot. C’étaient des librairies qui fonctionnaient sur un mode semi-clandestin, avec des journaux et des livres qui étaient exposés, mais il y avait aussi des tiroirs avec des petits post-it, et sans que le libraire ne le dise il fallait ouvrir les tiroirs, à l’intérieur desquels il y avait des textes antisémites interdits, très violents… Les pires étaient dans le tiroir. La librairie La Vieille Taupe a également rouvert dans les années 1990, mais à ce moment elle était devenue une officine négationniste.

Y a-t-il également eu des échanges directs avec les mouvements concernés ?

À partir du début des années 1980, j’ai beaucoup écrit aux groupes, en me faisant passer pour quelqu’un qui était intéressé, en demandant de la documentation. J’ai donc reçu beaucoup de documents grâce à ce système. Par exemple, lorsque la Vieille Taupe a commencé ses activités négationnistes, j’ai envoyé une lettre et je me suis mis à recevoir des tracts et journaux négationnistes, qui étaient introuvables dans les librairies. J’ai procédé ainsi pour beaucoup de mouvements d’extrême droite. 

Puis, quand j’ai publié mon premier livre, Les Ennemis du système : Enquête sur les mouvements extrémistes en France, en 1989, comme le livre a eu une certaine notoriété, alors j’ai été contacté par de nombreux mouvements extrémistes qui voulaient me prouver qu’ils avaient raison, qu’ils étaient bien… Et je me suis mis à recevoir énormément de choses. Par exemple, la Ligue communiste m’a fait un service de toutes ses publications, ce qui a duré jusqu’à la création du NPA en 2009. J’ai également reçu des trucs d’extrême droite très intéressants, notamment des bulletins clandestins néonazis, comme Le National-Socialiste, qui sont sans copyright, dans ISBN, sans rien… Ils m’ont été envoyés de façon anonyme ! J’en étais ravi, évidemment, puisque ça a nourri mes archives.

Les documents sur les royalistes et l’extrême droite sont bien représentés…

Quand j’avais 16 ans, je me suis rendu au siège de nombreux mouvements. Je suis allé au siège de la Nouvelle action française, ou encore au siège du Front national, où j’ai rencontré par hasard Jean-Marie Le Pen lors de la campagne de 1974. J’étais mort de rire intérieurement car je savais très bien qui était Le Pen. J’allais chercher de la documentation et j’avais un truc quand j’étais très jeune, je disais : « Je fais un exposé sur les mouvements politiques. » Je suis allé au siège de tous les partis extrémistes avec ma petite bouille gentille ! J’ai également fait comme ça le siège de tous les syndicats. L’idée était de faire des archives, de comprendre la vie politique. J’étais un peu autiste, à mon avis. J’y allais sans crainte, notamment dès qu’il y avait une campagne électorale pour dire que j’étais intéressé et demander de la documentation. 

Puis, à partir des années 1980, j’ai également pris le pli d’aller tous les ans à la Fête des Bleu-blanc-rouge, qui est une librairie à ciel ouvert, où tout est gratuit. Et devenant journaliste, j’ai reçu beaucoup de communiqués, de dossiers de presse que j’ai évidemment gardés.

Alors il y a vraiment beaucoup d’archives sur le Front national, et je dirais même que c’est une mine sur l’histoire du Front national. J’ai tout depuis 1972. Depuis les années 2010 je fais moins le geste d’y aller, je laisse venir les choses, mais je n’ai pas tellement de choses sur le Rassemblement national, à part le courant Marion Maréchal qui m’envoie ses bulletins.

Qu’en est-il des documents relatifs à la franc-maçonnerie ?

Je pratique la franc-maçonnerie depuis 1984, avec une interruption, et ça m’a toujours intéressé. J’ai donc déposé des textes internes, qui sont très rares, et par ailleurs ce sont des lots divers, venant de librairies ésotériques, de bouquinistes… Plutôt des petites librairies ésotériques où l’on trouvait plein de petits bulletins. Il y a également des bulletins que je recevais ou auquel j’étais abonné d’office. Or, j’avais la possibilité de les léguer à des obédiences maçonniques, mais si je léguais à la Grande Loge de France, ils n’étaient pas intéressés par tout ce qui concernait le Grand Orient de France… Je me suis donc dit qu’il valait mieux que ça soit mis à disposition des chercheurs. D’ailleurs ces documents sont rares pour les chercheurs, mais moins pour les francs-maçons. J’ai mis dans le fonds certains documents rares, comme des documents concernant les hauts-grades, ou des feuilles de convocation qui montrent de quoi on parle et qui est invité. Mes archives ne portent pas uniquement sur l’extrémisme, elles vont bien au-delà ! 

Et s’agissant des documents sur le sionisme, parfois en hébreu ?

Ce sont des documents que j’ai achetés à New York dans des librairies de livres anciens. Pour les documents des années 1960, je les ai trouvés très intéressants car ils développent le regard sioniste des origines, très à gauche. Dans ces librairies ils avaient des lots. Une chose que je trouvais amusante : à New York, beaucoup de libraires étaient dans les étages des immeubles, rien n’était indiqué, on montait au cinquantième étage du building, et là il y avait une librairie de livres anciens !

Outre les dons déjà évoqués, avez-vous intégré à vos archives d’autres fonds déjà constitués ?

Il y a eu aussi un militant du Parti socialiste qui avait gardé toutes ses archives du lycée et de l’université, des tracts et des documents du PS. J’ai donc tout intégré dans mes propres archives. 

Sinon, j’avais reçu de très grosses archives maoïstes, celles de Jacques Jurquet, le fondateur du PCMLF, et d’autres de Raymond Casas, qui avait quitté le PCF pour le PCMLF, et qui a arrêté brutalement sa carrière militante après avoir été menacé de mort par le PCF au début des années 1970. Mais ces archives-là sur le maoïsme ont été léguées à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam.

Pour finir, pourquoi avoir choisi l’UPHF pour vos archives ?

C’est le hasard des rencontres. J’ai donné une conférence à Valenciennes devant un groupe de patrons sur les risques de crise sociale, il y a quelques années. J’ai rencontré Denis Wautier, qui dirige Valutec, une entreprise liée à l’UPHF, et pendant le dîner qui a suivi j’ai parlé de mes archives, que je ne savais plus où stocker. J’ai demandé à Denis s’il avait une idée, et il m’a proposé d’en parler à l’Université. Et là, il y a eu une espèce de rush d’enthousiasme, qui a fait que j’ai opté pour Valenciennes, bien que n’ayant aucun lien avec Valenciennes. Une université dynamique, jeune et avec des gens qui en veulent, c’est ce qu’il y a de mieux ! L’UPHF a alors accepté de prendre l’ensemble du fonds et m’a fait une proposition merveilleuse qui était de créer l’Observatoire. Un double projet vraiment intéressant !